Le coup gagnant

Je me promène dans la forêt parée des mille feux de l’automne. Le seul bruit est celui de mes pas dans les feuilles mortes. J’ai l’étrange impression que la forêt s’est figée… mais un bruit me parvient ; des cris ? des applaudissements ? des gémissements ? Je me dirige vers ces bruits et je débouche sur une vaste clairière. Le spectacle est inattendu. Imaginez une grande fosse carrée dont le fond est régulièrement quadrillé. Une foule étrange se tient sur des remparts. Sur deux côtés opposés des sièges d’arbitre. Je me faufile dans la foule pour voir le spectacle.

On dirait des acteurs en train de tourner un film mais aucune caméra pour fixer la scène! Des personnages, un bandeau sur la bouche, sortent de couloirs dissimulés sous les remparts, exactement comme pour un combat de gladiateurs. Mais ce n’est pas une arène, car je saisis tout-à-coup que je suis entrain d’assister à une partie de scrabble ! Sur le damier sont placés des personnages dans lesquels je distingue les voyelles représentées par des jeunes-filles aux robes bariolées marquées d’une initiale, des hommes jeunes portant sur leurs épaules la consonne qu’ils représentent et les sept lettres valant dix points sont représentées par des vieillards. Autour du damier se tiennent une foule gémissante et des gardes habillés en soldats romains comme dans le péplum vu hier à la télé. La partie est commencée depuis un bon moment car le damier est déjà bien rempli. Un grand écran de télévision indique les scores et montre la tête des adversaires.

Mais je le connais ! Cet homme rubicond au regard faux, aux belles paroles reflétant la fausseté est le politicard dont tous les journaux parlent ! Il vient de faire un bon coup et les soldats emmènent son malheureux adversaire qui demande grâce à grands cris. Et un autre homme est trainé de force. Je comprends le jeu cruel ; à chaque tour on amène un autre joueur choisi dans la foule. Je regarde fascinée. Mais soudain deux gardes me saisissent… c’est à moi de jouer !!!

Mes pions sont en train d’arriver. J’ai un E, un I, un T (un charmant jeune homme, ma foi !), et voilà un Q (une vieille femme édentée), un E (j’aime beaucoup sa robe bleue), un Z (un vieux tout tordu ressemblant à mon aimable voisin de palier) et un joker (un charmant enfant déguisé en petit page). Avec un jeu pareil, je ne peux que gagner et écraser le sourire suffisant du politicard. Il vient lui d’écrire PREFIXE en utilisant le P de milieu de damier. Il a 103 points d’avance ! Mais je suis très forte à ce jeu. Je trépigne d’impatience. Je chuchote à mes amis de se placer pour former le mot QUETIEZ, avec le E permettant de faire PREFIXEE. Silence dans la foule. Un scrabble plus le Z en double plus deux mots triples ! Je saute de joie….mais je sens que l’on me tape dans le dos… « Eh ! Réveille-toi ! Cesse de gigoter ! Tu fais un cauchemar »

Oh ! Non ! Je n’ai pas pu faire mon coup à 212 points !!!!

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1 commentaire

Merci de nous faire partager ton univers poétique

Achard

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