Il était une fois, au Royaume de l’Étang, vivait une fée des eaux s’appelant Nénu. Nénu était la petite-fille de la reine de l’Étang, la Grande libellule aux yeux blancs. Aveugle depuis de nombreuses années, c’était Nénu qui avait pour mission de sillonner le royaume et de rapporter tout ce qu’elle y voyait à sa grand-mère. Ainsi se rendait-elle tous les quarts de lune au château y faire ses comptes-rendus autour d’un grand festin qu’elle partageait en tête à tête avec la reine.
Un jour qu’elle se dirigeait vers le palais, elle croisa la route d’un crapaud marchand nommé Owonga. Ses produits étaient réputés dans tout l’étang pour leur qualité, mais Nénu était pressée et ne s’arrêta pas devant l’étalage. « Alors jolie princesse, tu ne veux pas jeter un coup d’œil ? » l’apostropha Owonga. « Je n’ai pas le temps, navrée. » répondit Nénu. « Hooo allez, ne fait pas la difficile, approche-toi voir ce que le bon Owonga a pour toi. Et on pourra faire connaissance au passage... » Nénu fronça les sourcils en regardant le crapaud. Elle n’avait certainement pas envie de faire connaissance avec lui et surtout, elle n’aimait pas du tout le sous-entendu dégoulinant de ses paroles. « Non sans façon. » Et elle s’en alla, le pas légèrement plus pressé que d’ordinaire.
En faisant son rapport à la reine, Nénu ne put s’empêcher de repenser à ce qu’il venait de se produire avec Owonga. Elle en fit donc part à sa grand-mère. « Ooooh ma pauvre enfant, ne t’occupe pas d’un crapaud comme Owonga. Ignore-le, il ne mérite pas ton temps. »
De fait, les fois suivantes, lorsqu’elle passa devant Owonga, Nénu tenta tant bien que mal de l’ignorer, ainsi que le lui avait conseillé la Grande libellule. Mais plus le temps passait, plus les façons du crapaud se dégradaient, si bien qu’il lui arrivait de hurler devant ses clients : « Mais regardez qui voilà ! La princesse muette qui vient encore allumer tout le voisinage ! » La honte et la frustration collaient à la peau de Nénu comme une pâte gluante dont elle ne parvenait plus à se débarrasser. Son silence, contrairement à ce qu’elle pensait, semblait inciter Owonga à poursuivre ses assauts et la fée de l’eau ne savait plus quoi faire pour que cela cesse.
Le point de non retour arriva bien plus rapidement que ne l’aurait cru Nénu. Alors qu’elle se rendait une fois de plus au château, Owonga sortit sa longue langue et vint lui lécher les chevilles avec un sourire de prédateur. Le sang de la princesse ne fit qu’un tour. Jamais elle ne s’était sentie aussi humiliée et salie de sa vie. Elle tenta de réagir, mais le choc agissait comme une pierre dans le fond de sa gorge, immobilisant ses cordes vocales et lui coupant le souffle. « Ne fais pas cette tête princesse, je suis sûr que tu aimes ça. » Incapable de prononcer un mot, Nénu prit la fuite en tentant de retrouver une respiration normale. Mais cette fois, elle ne se rendit pas au château. Elle prit la route de la hutte de la sorcière de l’Étang, une araignée d’eau aux pouvoirs illimités, et lui conta ce qu’il venait de se produire. « Owonga se croit invincible » dit la sorcière « mais je vais te donner de quoi lui donner une bonne leçon ».
Le quart de lune suivant, Nénu se rendit chez sa grand-mère comme d’ordinaire. Et sans surprise, lorsqu’elle passa devant Owonga, ce dernier la héla, puis, galvanisé par la réussite de sa précédent entreprise, il sortit sa langue et la passa sur la jambe de la princesse. Sauf que cette fois, Nénu avait pris soin de badigeonner son corps d’un filtre incandescent offert par la sorcière de l’Etang. Owonga poussa un hurlement de douleur en reculant, brûlé par la potion et Nénu se rapprocha de lui. « Alors Owonga, on a perdu sa langue ? Repense-y la prochaine fois que tu voudras la sortir. Et surtout, rappelle-toi que si tu oses me toucher, me parler ou même me regarder de nouveau, ce n’est pas que ta langue que je brûlerai. ». Le crapaud poussa un gémissement de peur et prit la fuite. Après ça, plus jamais il n’aborda de fée. Et lorsqu’elle devint reine, Nénu s’assura que plus jamais de telles choses puissent se produire dans son royaume.