La préfecture de Tottori, au Japon, vivait paisible au rythme des marées contre les immenses dunes abritant la population. Mais un jour, le vent se leva et refusa de se coucher. Depuis maintenant des semaines, il fait battre la pluie et avancer de façon menaçante les dunes vers la ville.
Aoi, petit enfant de Tottori, marche péniblement sous la tempête. Le vent siffle à ses oreilles comme des paroles humaines : « Soyez maudits, humains ! qui m’avez enlevé mes filles. ». Et voilà que le vent décolle du sol les pieds d’Aoi ! L’enfant stupéfait se retrouve en l’air, tête bêche devant une ombrelle furibarde, bien vivante, l’œil noir de colère, la pluie dégoulinant le long de ses plis de papier, tremblante sur sa jambe unique. Elle continue :
« Mon nom est Yurei Gasa*. J’étais une ombrelle de papier washi**. En un siècle, je vous ai vu abattre tous les arbres. Privé de descendance, torturé par votre malédiction, je me changeai en esprit lors de mon centième anniversaire. Depuis, fantôme solitaire, je souffle sur vos dunes. Elles avanceront jusqu’à vous étouffer, comme plus aucune forêt ne peut les arrêter. Tremble ! »
« Ô Yurei Gasa ! », répond courageusement Aoi. « Nos intérêts sont les mêmes. Je te promets de grandir dans la vénération des arbres, comme nous feront regrandir la forêt et represserons le papier washi. Aie confiance et trouve le repos. ». Et ainsi firent Aoi et Yurei Gasa.
Depuis ce jour, les habitantˑes de Tottori honorent le fantôme, muniˑes de parapluies aux centaines de clochettes tintinnabulantes. Et les filles de Yurei Gasa ? Elles sortent de leurs arbres au premier soleil de l’année et déploient leurs ombrelles en grappes de fleurs. Elles veillent sur qui vient se perdre dans la contemplation des cerisiers ; puis lorsque s’envolent les ombrelles en cascades de fleurs, elles volent avec elles pour fertiliser la terre d’un nouveau cerisier.
*Yurei Gasa : Aussi appelé Kasa-Obake. Figure récurrente du folklore japonais : une ombrelle tsukumogami, c’est-à-dire un objet qui a pris vie lors de son 100e anniversaire. Elle a un seul œil, une unique jambe, et deux bras. C’est un esprit farceur lié au vent et aux personnes qui s’aventurent dehors sans parapluie les jours de mauvais temps.
**Papier washi : papier de mûrier traditionnel japonais, d’origine chinoise, classé patrimoine intangible de l’humanité. On s’en sert aussi bien pour l’écriture que pour l’ameublement (portes, abats-jours, lampes. Enduits, ils sont aussi utilisés pour fabriquer parapluies et imperméables.
*Wasaga : en fait je ne trouve pas trop de sources concordantes pour ce terme (les parapluies traditionnels) donc je laisserais tomber ! Hahaha
**Tsukumogami, « esprit de 99 ans » : artéfacts qui prennent vie lors de leur 100e anniversaire. Ce sont des êtres à part entière, pas des objets possédés.