Alors que l’hiver annonçait délicatement son arrivée, le jeune homme pris la décision soudaine de quitter la ville. Cette décision n’était pas guidée par la misanthropie, ni par une quelconque espèce d’appel mystique. Cela s’imposait simplement à lui, comme une vérité évidente par elle-même. Il s’équipa d’un bagage minimal, ferma à clé son appartement et se mit en route sans autre idée en tête que la vague représentation d’un paysage. Il redécouvrait cette scène intérieure, ayant le sentiment diffus qu’elle lui revenait d’une vie antérieure.
Un champ d’un vert bleuté, s’étendant jusqu’aux contreforts d’une chaîne montagneuse aux sommets enneigés. Chaque petite pousse abritait une étrange créature à la forme changeante. Incapable de se faire d’eux une image déterminée, il marcha longtemps sans prendre garde à la fatigue ni à son ventre qui grondait. Le littoral le força à s’arrêter après 3 jours de marche ponctués uniquement par de légers sommes sous le feuillage d’un arbre.
Après avoir longé la côte pendant quelques heures, il aperçut un pont s’étendant par-dessus le bras de mer. A son extrémité on pouvait discerner un front de mer dissimulé par un épais brouillard, semblant balayé par des bourrasques légères. Lorsqu’il arriva au bord du pont, la surprise l’étreint. Cet ouvrage était renommé dans tout le pays, une fierté nationale enjambant un bras de mer furieux qui s’étendait sur plusieurs kilomètres.
Mais devant lui se dressait une construction bien plus ancienne, et bien plus modeste. Fait d’un bois presque vermoulu, il ne s’étendait plus que sur quelques mètres. Abasourdi par ce changement, le jeune homme oublia de prendre les précautions qui s’imposaient, et s’avança mécaniquement sur ce passage féerique. De discrets jappements accompagnèrent sa traversée, mais ces sons n’étaient pas assez brusques pour le tirer de ses rêveries. Ils s’intégraient délicatement au paysage de son esprit, précisant un peu plus sa vision des petites bestioles s’abritant sous le chapeau des pousses qui composaient le champ. Le pont s’achevait devant un petit sentier serpentant le long d’une colline, montant doucement sous un ciel blanc comme neige. Le climat n’était toutefois pas suffisamment rude pour tirer notre héros de son état second, et son ascension se déroula sans encombres.
Son arrivée au sommet de la colline lui offrit un spectacle tel qu’il faillit sortir de l’étrange léthargie qui avait pris possession de lui depuis son départ. A perte de vue, une immense plaine s’étendait devant lui. Mais le brouillard empêchait toujours les montagnes éclatantes d’apparaître à sa vue, lui faisant comprendre que son périple devait encore se poursuivre. Sans prendre garde à ses lacets défaits, à ses semelles partant en lambeaux, ses pieds l’emmenèrent au travers de cette nappe à la couleur irréelle. Alors que son organisme poussé à bout s’apprêtait à déclarer forfait, la brume se dissipa. Il se trouvait devant ce paysage dont le souvenir l’enveloppait tout entier. S’allongeant parmi les délicates pousses il fit reposer sa tête sur le sol. L’odeur de cette terre riche le porta vers un sommeil profond. A son réveil, il tourna le visage vers la plante la plus proche. Les créatures de son rêve fourmillaient autour de lui.
L’une d’entre elles s’approcha, lui murmurant à l’oreille qu’elles ne s’étaient pas montrées à l’un des siens depuis de nombreux cycles, mais leur rancune à l’égard des hommes était passée. Cependant, si peu d’entre eux se souvenaient d’elles que renouer les liens s’avérait presque impossible. Il s’éveilla une seconde fois, n’ayant qu’un souvenir très flou du reste de la discussion. Décidant d’emporter un bouquet de cette végétation si envoûtante, il entreprit de faire le chemin en sens inverse afin de retourner parmi ses semblables. Alors qu’il traversait le pont une seconde fois, il entendit de nouveaux les petits jappements qui l’avaient accompagnés la dernière fois. Le son venait désormais de ses épaules. Il poursuivit, avec au cœur le sentiment chaleureux qu’il ne serait plus jamais seul.