Trois sœurs

Il était une fois, au Japon, vivaient 3 sœurs geishas. Les geishas étaient des maîtresses dans l'art du divertissement raffiné : aussi belles qu'habiles, elles jouaient de la musique, préparaient le thé, dansaient et entretenaient la conversation avec toute personne ayant les moyens de se payer leurs services. Mais ce qui rendaient les trois sœurs toutes particulières était sans aucun doute les pouvoirs dont les dieux les avaient dotés à leur naissance.

Ainsi, l'aînée avait la capacité de voir le passé de ses clients et chantait leur gloire d’antan accompagnée de son shamisen. La benjamin quant à elle, discernait les fils constituant le futur des hommes et leur offrait des aperçus de ce que l'avenir leur réservait dans le miroitement du thé qu'elle leur versait. Enfin, la cadette puisait son pouvoir dans les possibilités du présent. Hélas, le peuple, qui ne comprenait guère ce que la connaissance de son présent pouvait lui apporter, ne venait pas voir cette sœur au don si particulier.

De fait, chaque jour qui passait, de longues lignes de clients attendaient impatiemment leur tour devant les portes de la première et de la troisième des sœurs. Mais personne ne prenait la peine de dépenser son argent pour consulter la seconde.

Un matin néanmoins, un rônin qui passait dans le village s'arrêta sur le seuil de la maison abritant les trois geishas. Sans le sous, il demanda d'une voix lasse et malheureuse : « Je n'ai que peu de choses, mais je suis prêt à le donner à la personne qui acceptera de s'entretenir avec moi. Y a t-il ici âme charitable qui réalisera le souhait d'un pauvre homme ? » Dans un léger bruit de raclement, la porte coulissante de la seconde geisha s'ouvrit et le rônin entra, sous l’œil méprisant des autres clients.

L'intérieur de la petite pièce était sombre, mais une douce odeur d'encens vint chatouiller les narines du rônin qui s'installa sur les coussins moelleux disposés à ses pieds. Soudain, la lumière vacillante d'une bougie perça l'obscurité, suivit de plusieurs autres, jusqu'à ce que la silhouette d'une belle jeune femme se distingue. Le rônin la regarda longuement en silence, sa peau blanchie par l'oshiroi, ses lèvres peintes de rouge, ses cheveux noirs prisonniers d'une coiffure compliquée. Jamais il ne lui sembla avoir vu femme plus belle au cours de sa longue vie.

« Sois le bienvenu, rônin » le salua la geisha en inclinant respectueusement  la tête. « Je sens que ton cœur est troublé. Que puis-je faire pour l'apaiser ? » Le rônin secoua piteusement la tête en baissant les yeux sur ses mains abîmées par la vie et les combats. « Noble dame, il n'y a hélas rien que tu puisses faire pour moi. Mon maître est mort sans gloire et, lâchement, je ne l'ai pas suivi sur la route du trépas, ce qui explique ma disgrâce. Il n'y a pas d'avenir pour un homme sans honneur, ainsi suis-je condamné à voir s'écouler les jours sans but. »

La geisha hocha la tête, puis se pencha légèrement pour attraper l'ombrelle repliée devant des genoux. D'un geste, elle l'ouvrit et se leva en faisant tourner gracieusement le manche sculpté entre ses doigts. Le rônin hypnotisé par le tourbillonnement de l'ombrelle, vit alors apparaître sous ses yeux un splendide coucher de soleil. L'odeur de l'encens se mua en une délicieuse fragrance lui rappelant les cerisiers en fleur de son enfance. Un millier d'images aussi douces qu'un nuage se bousculèrent dans son esprit qui, pour la première fois depuis de nombreuses années, trouva un peu de paix. « Rônin, ce n'est pas par peur de la mort que tu n'as pas suivi ton maître, c'est par amour de la vie. Ton présent est un cadeau rempli de possibilités que tu as décidé de te faire à toi-même. Et si tu regardes avec attention, tu t’apercevras que tant que tu respires, une multitude de choix s'offrent à toi. Ne te laisse pas accabler par le regard et le jugement des autres. Vis et savoure toutes ces petites choses qui t'ont convaincues de ne pas t'arracher au monde. » Tout en parlant, la geisha dansait dans une mer de soie rouge et le rônin l'admirait comme s'il n'y avait rien de plus beau au monde.

Lorsqu'il sortit de la maison des geishas, le rônin ne possédait toujours que peu de choses. Mais alors qu'il se dirigeait vers la sortie du village, il se surprit à humer l'odeur des ramen s'échappant d'une petite échoppe, à admirer la beauté d'une fontaine de pierre et de bambou, à écouter le chant des oiseaux dans les arbres. Il se surprit à vouloir faire la paix avec son passé et à désirer un avenir.

Il se surprit à aimer l'instant présent.

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